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Le Dessin libertaire et la répression des anarchistes au début du XXe siecle

Dernière mise à jour : 14 mai 2020

Les articles et les enregistrements audio des étudiants de l'Atelier Art et Politique, évoquent plusieurs événements qui ont marqué l'histoire de l'anarchisme français avant 1914 : les manifestations parisiennes autour de l'exécution de Francisco Ferrer (Paul Rivière, Clovis Lereculeur), le casse de le rue Ordener (Eleuthère Lamare, Leo Hervada, Gustaw Szelka et Mouraz Daoudi), l'Affaire Rousset-Aernoult (Eva Lambert, Théo Benegni et Anna Emilie Wehrle); ou analysent des dessins de presse d'André Claudot datant du début des années vingt pour le journal anarchiste Le Libertaire : le naufrage de Marcel Vergeat, Jules Lepetit et Raymond Lefebvre en 1920 (Hélysa Crichan, Lucie Grandjean), Les pogromes en Pologne 1921 (Elise Fouquier, Clovis Solo, Paul Marguier), la commémoration de la Commune (Antoine Asselin, Augustin Leclercq). André Claudot, "Remember... Vive l'Anarchie ! " (Naufrage de Marcel Vergeat, Jules Lepetit et Raymond Lefebvre), Le Libertaire, Dimanche 19 décembre 1920, Collection Michel Dixmier, © R. Mazuy (photographie).

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L'exécution de Francisco Ferrer vu de France : 1909

Paul RIVIERE, Clovis LERECULEUR

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Manifestation à Paris en hommage au pédagogue libertaire Francisco Ferrer, fusillé le 13 octobre 1909 à Barcelone, 17 octobre 1909, Auteur anonyme, CC - Wikimedia commons ( source de l'image - http://anarcoefemerides.balearweb.net/).


"Ce n'est pas la rue qui gouverne" estimait Jean-Pierre Raffarin, alors premier-ministre au début des années 2000. Pourtant à l'instar de la crise des gilets jaunes connue en 2018, la rue semble être un bon moyen pour se faire entendre, voire pour gouverner aujourd'hui. Sans faire d'anachronisme, l'image une foule incontrôlable remettant en cause les décisions du gouvernement n'est pas sans rappeler les manifestations au début du siècle en hommage à Francisco Ferrer, grande figure de l'anarchisme européen...


le naufrage de Raymond Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat et l'engagement politique d'andré claudot "Remember, vive l'anarchie !", 19 décembre 1920


Hélysa Crichan

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André Claudot, Remember, vive l'anarchie !, Le Libertaire, 19 décembre 1920, Collection Michel Dixmier, ©R. Mazuy (photographie)

1er octobre 1920. Alors que Raymond Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat tentent de regagner la France après avoir assisté au IIème Congrès de l’Internationale Communiste, ils meurent durant leur périple. La nouvelle n’arrivera en France que le 1er décembre, relayée par le journal L’Humanité, journal socialiste qui devient communiste à cette date (congrès de Tours de décembre 1920). Le quotidien annonce sur sa page de couverture : « Raymond Lefebvre, Vergeat et Lepetit sont morts tragiquement au service de la Révolution sociale ». La tragique nouvelle aura de forts échos chez les communistes autant que chez les anarchistes, et différentes thèses s’opposeront quant aux circonstances de la mort des trois hommes au cœur de la mer de Barents. André Claudot, peintre et dessinateur d’origine dijonnaise, collabore à cette période pour le journal Le Libertaire, l’un des titres principaux de la presse anarchiste. C’est dans ce contexte qu’il va publier, le 19 décembre 1920, une caricature mettant en scène le naufrage des trois hommes, dessin accompagné des mots : « Remember ! Vive l’anarchie! ».

Durant l’été 1920, Jules Lepetit et Marcel Vergeat, de tendance anarcho-syndicale, sont envoyés au IIème Congrès de l’Internationale Communiste (IIIe Internationale ou Komintern) pour représenter la minorité révolutionnaire de la Confédération Générale du Travail (CGT), en compagnie de Raymond Lefebvre, un intellectuel appartenant à la gauche de la S.F.I.O. (parti socialiste) et favorable à l'adhésion à la IIIe Internationale. Les trois hommes partent en Russie afin de s’informer sur la situation russe et comprendre la réalité de leurs propres yeux et oreilles. Ils sont pendant une partie du séjour aidés par un traducteur, Toubine. Il semble qu’ils furent très intéressés par les séances auxquels ils assistèrent pendant le Congrès, tout en gardant un esprit plutôt critique, Vergeat et Lepetit en particulier. Après la fin du Congrès, ils participent à un voyage d’études dans le Sud de la "Russie des Soviets" et notamment en Ukraine.


Leur voyage retour en direction de la France s’avère malheureusement plus compliqué que prévu. A cause des difficultés liées au blocus allié et à la guerre qui se poursuit entre la Pologne et la Russie, les trois hommes et leur interprète doivent prendre la route du Nord en passant par Mourmansk puis par la Norvège. Leur périple se complique au fur et à mesure des étapes et ils sont confrontés à de nombreux problèmes. Malgré tout, ils parviennent à finalement quitter Moscou pour Mourmansk à la date du 6 septembre 1920. Une fois arrivés à Mourmansk, ils doivent alors attendre un bateau qui n’arrive pas. En ce qui concerne la suite du parcours de ces hommes, les avis divergent et, à ce jour, rien n’est encore parfaitement clair quant aux circonstances exactes de leur décès. D’après les autorités soviétiques, aux alentours du 1er octobre, les hommes avaient tenté, impatients de l’arrivée du bateau qui leur était promis, de rejoindre la Norvège par leurs propres moyens en louant un bateau de pêche. Ils auraient alors connu la mort lors d’une tempête ou à cause des tirs d’un navire de guerre de l’Entente lors du blocus de la Russie. En revanche, pour une partie importante de l'opinion de l'époque, les trois hommes auraient plutôt été éliminés délibérément par les autorités bolchéviques, et notamment par la Tchéka, qui avait perçu chez eux trop d’hostilité et de critiques envers le régime bolchevik. Mais cette thèse est rejetée aujourd'hui par la plupart des historiens contemporains qui n'ont pu trouver (y compris dans les archives soviétiques) aucune preuve en attestant.


Il est vrai que Vergeat et Lepetit, en particulier, n’avaient pas été absolument convaincus, ni sur la question de la Révolution russe, ni sur ce qu’ils avaient entendu lors du Congrès. Lepetit, dans une lettre du 28 juillet 1920 adressée au syndicat des terrassiers, expliquait qu’il était « extrêmement difficile de se faire une opinion exacte, d’abord parce que les officiels cherchent à ne nous laisser apercevoir que le bon côté, à nous dissimuler le revers de la médaille ». Lepetit, de même que Vergeat, étaient en effet considérés comme des hommes dont l’hostilité envers le système né de la Révolution russe n’était absolument pas dissimulée : ils exprimaient tous deux clairement leur opposition au parti unique notamment, considérant que les personnes mobilisées qui avaient porté Lénine et son parti au pouvoir n’avaient sûrement pas souhaité cela. Lepetit était sûrement le plus réfractaire au système soviétique des trois, alors qu’au contraire, Lefebvre était l’un des délégués français les plus appréciés. Pour les opposants au régime bolchevik, en particulier pour une partie de plus en plus importante des anarchistes, c'est donc logiquement leur manque d’adhésion aux idées bolchéviques qui leur coûta la vie; les autorités ayant eu peur qu’ils reviennent du Congrès avec des témoignages défavorables pour leurs collègues socialistes et syndicalistes. C’est alors pour cette raison, pour les anarchistes, qu’ils durent emprunter la route du Nord alors que la plupart des délégués français purent rentrer bien plus facilement par la voie directe Varsovie-Berlin-Paris.


Dans ce contexte, la caricature d’André Claudot fait directement écho à la disparition des trois hommes dans la mer de Barents. Moins caustique que la plupart des dessins de Claudot de l'époque, elle les montre simplement en train de se noyer dans une mère déchaînée. On distingue d'ailleurs simplement les traits de l'ami de Claudot, Marcel Vergeat, les autres n'étant qu'une silhouette ou un simple tête sans traits distinctifs disparissant sous les vagues. Claudot était avant la guerre de tendance anarchiste, ce qui lui avait d’ailleurs valu son inscription au Carnet B en 1912, instrument de surveillance des « suspects », après sa campagne antimilitariste avec la Fédération communiste anarchiste. Ses opinions anarchistes expliquent donc la présence de ses dessins dans Le Libertaire, ainsi que d’autres journaux comme la Revue anarchiste et La Jeunesse anarchiste. Selon son témoignage postérieur, lors qu’il envisage d’adhérer à la Section française de l’Internationale Communiste (SFIC), c’est le naufrage de Lefebvre, Lepetit et Vergeat qui l’en dissuadera. C’est sûrement de ce point de vue qu’il faut essayer de comprendre la légende de sa caricature : « Remember ! Vive l’anarchie ! », pointant du doigt la criminalité des autorités au pouvoir depuis la Révolution d'octobre, que Claudot avait pourtant soutenue. Ainsi, bien au-delà de représenter la tragédie que vécurent les trois hommes et leur interprète, André Claudot fait de son dessin une caricature aux accents fortement politiques, laissant imaginer son avis quant aux circonstances du naufrage de ces hommes, mais également son éloignement du communisme pour quelques temps. En dépit de l'importance de ce dessin dans le parcours politique de l'artiste à cette date, comme en témoigne d'autres publications postérieures (comme par exemple les dessins sur les mutins de la mer Noire pour le numéro 4 des Crucifiés, annoncés dans L’Humanité du 3 janvier 1921). Ce n'est pas avant le printemps 1921 que Claudot rejettera un engagement communiste, et ce jusqu'à la Résistance.

Une "Affaire Dreyfus des ouvriers" : L'Affaire Rousset-Aernoult (1909-1012)


Bande dessinée réalisée par Eva Lambert - Cliquer sur la première image pour cadrer correctement les planches.


Le casse du 146 rue Ordener : la Bande à Bonnot (1911)


Eleuthère Lamare, Leo Hervada, Gustaw Szelka et Mouraz Daoudi. https://static.wixstatic.com/mp3/02160e_d7ee33b85e1b44e4b51cf2e5cc803010.mp3

En 1911, la Bande à Bonnot attaque en plein jour une banque de la rue Ordener à Paris (XVIIIe arrondissement). C'est le braquage en voiture de l'histoire française. Un enregistrement audio racontant cette affaire et l'émoi qu'elle a provoquée.

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Fiche de Police de Jules Bonnot, © Archives de la Préfecture de police de Paris, 1912 - CC - Wikimedia commons - Source de l'image : http://anarcoefemerides.balearweb.net/ Crédits musicaux : Joe Dassin, La Bande à Bonnot, SME, Latin Autor, ASCAP, SODRAC.

Le naufrage de Marcel Vergeat, Jules Lepetit et Raymond Lefebvre (1920)

André Claudot, « Remember, Vive l’anarchie ! », 12 décembre 1920

Lucie Grandjean

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Carte montrant le lieu supposé de la disparition, le 1er octobre 1920, de Raymond Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat, CC- Wikimedia commons ©.Jospe.

En novembre 1917, la révolution d’Octobre éclate et la prise de pouvoir des Bolcheviks plonge la Russie dans une guerre civile. En 1920, les "Rouges" bolcheviks reprennent clairement le dessus sur des "Blancs", très divisés, mais prônant en majorité le retour de l’Ancien régime, et soutenus par les puissances alliées qui ont peur que l’instauration d’un gouvernement communiste inspire leur propre population. Les Bolcheviks réussissent finalement à s’imposer au pouvoir, en réprimant toute forme d’opposition et notamment le mouvement anarchiste depuis 1918. Cela amène l’ensemble des membres des partis de gauche européens à s’interroger sur la nécessité de s’allier au régime communiste de Bolcheviks. Tous ne sont pas d’accord; les luttes internes augmentent. En novembre 1920, un congrès national de groupes anarchistes français est organisé et plusieurs fédérations régionales, notamment la Fédération anarchiste parisienne, s’unissent autour de leur hostilité envers les Bolcheviks pour former l’Union anarchiste. Un mois plus tard, lors du Congrès de Tours, la question de l’affiliation au bolchevisme divise en deux la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO - parti socialiste), et une majorité des militants socialistes se rallient à l’Internationale communiste de Lénine. Ils créent ainsi un nouveau parti, la Section française de l’Internationale Communiste (SFIC), le futur PCF, soumis aux conditions de l’Internationale communiste. C’est donc au cœur d’une période qui voit la gauche française troublée et divisée par la question de la Révolution soviétique qu’intervient le mystérieux naufrage de trois militants socialistes.

Le 1er octobre 1920, le navire ramenant en France les trois délégués de groupes syndicalistes minoritaires Lepetit, Vergeat et Lefebvre fait naufrage. Les circonstances entourant l’évènement sont à l'époque floues et très discutées, même si les historiens contemporains s'accordent aujourd'hui sur la thèse du simple naufrage. Au début de l’été 1920, Jules Lepetit et Marcel Vergeat sont chargés de se rendre à Moscou pour le IIe Congrès de l’Internationale communiste, tenu du 23 juillet au 7 août 1920, pour y représenter la minorité révolutionnaire de la CGT. Ils s’y rendent accompagnés par Raymond Lefebvre, jeune intellectuel de la section la plus à gauche du parti socialiste. Ils ont en réalité pour mission d’enquêter sur la situation russe et d’en apprendre le plus possible sur les réalisations de l’État soviétique et l’état de la population, sans se laisser tromper ou manipuler. Sur place, ils rencontrent des militants révolutionnaires comme Victor Serge ou Marcel Body, puis, après un séjour en Ukraine, ils prennent le train pour Mourmansk d’où ils s’embarquent le 6 septembre pour rentrer en France. Les deux syndicalistes ont vite été identifiés par les Soviétiques comme très critiques. En effet, dans sa lettre du 28 juillet 1920 au syndicats des terrassiers, publiée en janvier 1921 dans Le Midi Rouge, Lepetit explique : « il est extrêmement difficile de se faire une opinion exacte, d’abord parce que les officiels cherchent à ne nous laisser apercevoir que le bon côté, à nous dissimuler le revers de la médaille ». Il critique également l’Internationale communiste : « Je n’ai rien trouvé jusqu’ici d’intéressant à cette réunion, malgré le bruit que l’on a fait autour... Cela m’apparaît plutôt comme un concile où l’on vient simplement approuver les ordres, décisions de l’Église ; ce n’est pas très flatteur pour les délégués étrangers ». Cependant, dans une lettre du 1er septembre 1920, publiée le 12 décembre 1920 dans Le Libertaire, il rappelle son attachement à la Révolution : « La Révolution enfante dans le sang et dans les larmes, dans la peine et dans la douleur, mais l’essentiel est qu’elle donne naissance à quelque chose de sain et de beau. Je crois que, malgré toutes ses fautes, la Révolution russe, qui n’en est encore qu’à sa première période, pourra, si les autres peuples savent l’aider, procréer une société véritablement belle. Mais encore faut-il que les prolétaires de l’Occident ne l’abandonnent pas à ses propres forces ». Pour Marcel Body : « Vergeat, mais surtout Lepetit ne cachaient pas leur hostilité à un système social dominé par un parti unique, dont le souverain mépris de l'homme n'était que trop visible dans la Russie entière. Les ouvriers russes, les marins de la Baltique et les paysans mobilisés qui constituaient les régiments qui, à la fin du règne éphémère de Kerenski, avaient porté Lénine et son Parti au pouvoir n'avaient certainement pas voulu cela. (...). Lepetit et Vergeat l'avaient partout constaté. (...). Et ils n'hésitaient pas à condamner un système qui allait si manifestement à l'encontre de tout ce que l'on promettait aux travailleurs français au nom du socialisme et de la Révolution ».

Pour les anarchistes français de l'époque, leur séjour ainsi que leur retour vont être rendus particulièrement difficiles par les autorités, afin de les empêcher de rapporter un témoignage négatif en France. C’est pourquoi lorsque, le 1er décembre 1920, le journal (encore) socialiste L’Humanité annonce le naufrage de leur bateau, de nombreuses hypothèses sont émises quant aux circonstances mystérieuses de leur disparition et la responsabilité du gouvernement bolchevik est régulièrement mise en cause par la presse de droite, comme celle de la gauche non-communiste. En effet nombreux sont ceux qui pensent que les autorités bolcheviques ont décidé de supprimer les trois délégués pour prévenir tout témoignage embarrassant pour eux. Lepetit, Vergeat et Lefebvre sont ainsi considérés comme des héros morts pour la cause internationale (les communistes imputent au blocus allié les conditions de leur départ), ou comme des victimes.

C’est pourquoi l’artiste André Claudot, qui avait accueilli avec joie la nouvelle de la Révolution d'Octobre 1917, a choisi de leur rendre hommage à travers sa caricature, publiée le dimanche 19 décembre 1920 dans le journal anarchiste Le Libertaire. Il s’agit d’un dessin représentant le naufrage des trois militants. On voit clairement l’un des trois hommes au premier plan, son visage et ses vêtements sont détaillés, ses bras et son regard levés vers le ciel dans un dernier espoir d’être sauvé, sa bouche ouverte pour prendre ses dernières respirations. On distingue au second plan la forme d’un autre homme, à peine esquissé, déjà en train de disparaître, une expression de terreur sur son visage et les bras levés dans une dernière tentative de ne pas se noyer. Le tracé des vagues est confus, brutal, on se perd dans les nombreux coups de crayons dans tous les sens, et on a l’impression de se noyer avec eux. Le dessin est sous-titré « Remember ! », pour enjoindre les lecteurs à conserver et honorer le souvenir de Lepetit, Vergeat et Lefebvre, mort pour ce en quoi ils croyaient, et « Vive l’anarchie ! », car tout comme les deux hommes, et en particulier comme son ami Marcel Vergeat qu'il représente clairement, Claudot était révolutionnaire et anarchiste convaincu. Il souhaite réaffirmer son soutien à la cause révolutionnaire tout en rendant hommage à ces trois "martyrs". Claudot dira dans les années 1970 que cet événement avait provoqué chez lui le rejet du régime communiste, en mettant fin à ses hésitations. Néanmoins, en regardant de plus près ses publications de l'époque, on s'aperçoit qu'au début de l'année 1921, il publie encore des dessins sur les Mutins de la mer Noire dans des périodiques ou pour une partition édités par les communistes. Ce n'est en fait qu'au printemps 1921, quand une autre vague de répression décime les anarchistes russes, que Claudot coupe les ponts avec les communistes. Mais une vingtaine d'années plus part, son engagement dans la Résistance le fera changer d'avis !

La visite du maréchal Pilsudski à Paris caricaturée par André Claudot (février 1921)

Elise FOUQUIER, Clovis SOLO, Paul MARGUIER


Écoutez l'enregistrement ici.

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La visite de février 1921 du maréchal Pilsudski, chef de l'Etat polonais, fait les gros titres des journaux français. L'accueil officiel est excellent, mais Claudot tient à rappeler que pour tout internationaliste, l'évènement appelle plus à l'indignation qu'à la bienveillance.




André Claudot, "Après les pogromes", Le Libertaire du 4 au 11 février 1921, Collection Michel Dixmier, © R. Mazuy (Photographie).


L'affaire Aernoult-Rousset, "l'affaire Dreyfus des ouvriers"

Par Théo BENEGNI Oubliée aujourd'hui, retour audio sur une affaire qui a mobilisé la gauche française (et en particulier les anarchistes) au début du XXe siècle.

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Albert Aernoult, Gandon, Paris, 1909 - CC- Wikimedia Commons - Source de l'image : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Albert_Aernoult_1909.jpg

Crédits musicaux : BRUANT Aristide, A Biribi, Extrait de Various Artists « Chansons révolutionnaires et sociales (Collection "Chansons de France") », Production Marianne Mélodie.

CLAUDOT ET LES MARTYRS DE LA COMMUNE


Antoine Asselin et Augustin Leclercq

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André Claudot, « Les Martyrs. Qu’un peu de cendre se mêle à ton haleine, ô Peuple de Paris. » (les Martyrs de la Commune), Le Libertaire, Du Vendredi 13 au 20 mai 1921, Collection Michel Dixmier, © R. Mazuy (photographie).

Claudot réalise ce dessin pour commémorer l’anniversaire du soulèvement de la Commune parisienne, et plus particulièrement de la « Semaine sanglante », la brutale répression du mouvement par les troupes versaillaises du 21 au 28 mai 1871. Cet anniversaire a donné lieu à de nombreux rassemblements dans tous les milieux de gauche, et Claudot ne pouvait pas manquer d’y faire référence.


En 1921, Claudot est logé à la Ruche de Montmartre. Celle-ci n’a plus sa gloire d’antan : c’est un lieu d’une profonde misère, où le pain est rare.

Claudot a toujours été marqué par la misère : il voulait la montrer en la peignant. Pour lui, l’art est un bon moyen pour aider à changer le monde. Claudot rêve alors d’un monde anarchiste, où il n’y aurait plus ni autorité ni injustices.

Claudot est un révolté de nature, toujours prêt à se lever contre l’injustice, et ce dès sa plus tendre enfance. A l’école, il n’a jamais supporté les pions qui lui volaient son carnet de dessin ! Sa grand-mère croyante lui a appris l’amour des bêtes. Il se battait ainsi contre les enfants qui faisaient du mal aux canards du jardin de l’arquebuse !

Le père de Claudot avait au contraire peur que son fils ne devienne un curé, et donc l’emmenait aux réunions de la libre pensée pour compenser. C’est là que Claudot a rencontré les anarchistes.

En 1914, Claudot a 22 ans. Il a été inscrit au Carnet B en 1912 et fait partie du mouvement anarchisme, dont la guerre va entrainer un affaiblissement important. En effet, beaucoup d’anarchistes se sont ralliés à la guerre et l’Union sacrée. Cela a choqué ceux pour qui l’anarchisme se devait d’être antimilitariste.

Claudot est antimilitariste et il le sera encore plus après le conflit, mais il est quand même mobilisé en 1914, et traverse toute la guerre du front occidental (Lorette, Douaumont) jusqu'au front oriental dans l’armée d’Orient. Pendant cette période, des carnets de croquis et une bouteille d'encre dans sa besace, il ne cessera pas de peindre et de dessiner malgré les risques de la censure. Il envoie en effet une partie de ses dessins à Sébastien Faure, fondateur du journal anarchiste Ce qu’il faut dire.

En novembre 1917 a lieu le grand événement de la Révolution Russe. Elle suscite l'enthousiasme des anarchistes, qui voient en elle un début d’incarnation de l’idéal libertaire.

La Section Française de l'Internationale communiste (parti communiste) est fondée en décembre 1920 du fait de la scission du mouvement socialiste (SFIO) durant le Congrès de Tours. Beaucoup d’anarchistes y adhérent, mais pas Claudot. Il connait mal le sujet. Il devient finalement un anarchiste anti-communiste à cause de la répression des anarchistes par les Bolcheviks. Avec la nouvelle du naufrage en octobre 1920 de Marcel Vergeat, Jules Lepetit et Raymond Lefebvre, 3 anarchistes de retour de Moscou, la rupture est presque totale. A l’époque, ce naufrage est largement perçu comme un assassinat par les Bolcheviks. Elle est définitivement entérinée, quelques mois plus tard, quand les anarchistes russes sont à nouveau réprimés.

C’est fort de tous ses engagements qu'au mois de mai 1921, Claudot signe ce dessin pour le Libertaire, journal avec lequel il collabore au sortir de la guerre. Le Libertaire est un grand journal anarchiste né avant 1914, ce qui lui assure une certaine notoriété.

Ce dessin représentant des squelettes, debouts devant une barricade, est très marqué par l’expérience militaire de Claudot. Son hommage à la Commune mêle aussi un hommage aux morts de la Grande guerre. En effet, le personnage central tient un Lebel, le fusil symbolique des Poilus de l'infanterie française en 1914, adopté par l'armée française en 1887, et que n'avaient donc pas les Communards. Le lien est clair. Il est même possible de faire un lien avec le film d’Abel Gance J’accuse ( 1919 ), que le pacifiste André Claudot avait peut-être vu. A la fin du film, les morts se réveillent pour rappeler aux vivants : "Plus jamais faire ça !" ( la guerre ). Claudot reprend aussi, avec la barricade, qu'on associe immédiatement à la résistance des Communards, le symbole des révolutions du XIXe siècle en Europe. Il rappelle également le passé révolutionnaire du Paris populaire, avec la légende "Qu'un peu de nos cendres se mêlent à ton haleine, ô Peuple de Paris !". Enfin, les dessins de Claudot témoignent aussi d'une grande admiration pour le dessinateur libertaire Jules Grandjouan qui a également représenté la Commune.

Cette œuvre montre enfin la difficulté du combat anarchiste, dans une ville où, en 1921, en dépit des grèves révolutionnaires de l'été 1919, la Révolution a échoué. Mais Claudot, fidèle à ses principes et ses convictions révolutionnaires, antimilitaristes et pacifistes ne faillira pas ! Durant cette année 1921, c'est pratiquement toutes les semaines, qu'il dessine ses convictions politiques pour le périodique anarchiste.

L'Affaire Aernoult-Rousset - Une chronique Anna Emilie Wehrle

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Le militaire et la société civile, la société civile et les activistes et politiques anarchistes et socialistes ; une affaire au début du siècle caractéristique pour un monde social et politique interconnecté avec celui du militaire ; une chronologie de « l’Affaire Dreyfus prolétarienne » :


2 juillet 1909 : mort du soldat Albert Aernoult dans le camp d’internement militaire français Djennan-ed-Dar (souvent appelé Biribi), dans la commune (Daïra) Beni-Ounif à la frontière de l’Algérie et du Maroc, après des sanctions disciplinaires sous forme de travaux physiques extrêmes et de la maltraitance violente du prisonnier.


24 juillet 1909 : publication d’un article dénonçant le traitement et les circonstances de la mort d’Aernoult, dans le journal Le Matin, après l’envoi d’une lettre par quinze témoins, dont Émile Rousset, qui l’avaient envoyée le jour-même de la mort d’Aernoult à sa mère et à la Ligue des droits de l’Homme.

À partir de la fin du mois juillet 1909 : attention portée à cette affaire d'une partie de la société et notamment des politiques et militants antimilitaristes, anarchistes et de l’extrême gauche à la suite de la publication de la lettre.

22 janvier 1910 : publication de la lettre dans le journal L’Humanité

9 février 1910 : publication d’un article dans le journal L’Humanité décrivant Rousset comme en danger suite à sa condamnation à cinq ans de prison ; l’affaire devient l’Affaire Aernoult-Rousset

22 mars 1910 : commencement de la campagne « À bas Biribi ! » par les mouvements antimilitaristes et socialistes, appelant aux soldats à se révolter contre les officiers. Le slogan est repris par les journaux L’Humanité et Le Matin ; l’Affaire est au centre des combats des mouvements anarchistes et antimilitaristes, rejoint par des groupes de défense des droits de l'Homme.

19 avril 1911 : Rousset est gracié par le Président de la République, mais les sous-officiers impliqués sont également acquittés quelques mois plus tard.

Septembre 1911 : accusation d’Émile Rousset de meurtre

9 décembre 1911 : condamnation d’Émile Rousset à vingt ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour ; le procès est considéré comme truqué et pour la gauche Rousset est un faux coupable, victime du pouvoir militaire ; l’Affaire est devenue l’Affaire Dreyfus du prolétariat.

11 février 1912 : enterrement au Père Lachaise d’Albert Aernoult, accompagné par 100 000 personnes.

24 septembre 1912 : non-lieu pour Rousset à la suite de la campagne dans la presse, au Parlement et dans la rue.

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Albert Aernoult, Gandon, Paris, 1909 - CC- Wikimedia Commons - Source de l'image : Wikipedia


Sources :

John CERULLO, Minotaur. French Military Justice and the Aernoult-Rousset Affair, DeKalb : Northern Illinois University Press, 2011, ix-295 p. ISBN 978 0 87580 433 0.

Cerullo, John. The Aernoult-Rousset Affair: Military Justice on Trial in Belle Époque France, 2008, Historical Reflections / Réflexions Historiques, Berghahn Books. Consulté sur : JSTOR

MAZUY, Rachel. "La mise à mort d’Albert Aernoult, « L’Affaire Dreyfus des ouvriers »", Retronews (Le Site de presse de la BnF), 15 janvier 2020 [consulté le 5 mai 2020]. Disponible sur : Retronews

 
 
 

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